Un des rôle de l'éducatrice


Souvent, dans ma journée, je suis assise. Au sol de la salle de jeux ou dans la cour. J'ai l'air de rien faire. Et pourtant c'est totalement imbriqué dans mon application de mon programme éducatif, comme d'autres moyens d'intervention. Pourquoi ? J’ai une petite image qui illustre bien notre vision.
Imaginez une plante. On sème, on sème, on sème, on espère que ça va germer, des fois ça prend plus de temps, des fois il faut semer autrement.
On choisit un bon terreau, puis on la met au soleil, on lui donne du temps, on lui donne l’espace nécessaire et on arrose au besoin. On ne tire pas dessus, on ne l’arrose pas constamment. On lui donne le temps de s’épanouir.
Le terreau en petite enfance, c’est le milieu éducatif, l’aménagement, l’ambiance, tout ce qui l’entoure. On s’assure qu’il soit de qualité, enrichissant, pour stimuler le développement de racines saines et fortes. On veut un milieu de vie, pas un milieu de garde. Un milieu pour vivre sa petite enfance, dans le bonheur, en se sentant bien et au bon endroit, comme un deuxième chez soi et non un milieu transitionnel en attendant le retour de papa ou maman.
Le soleil, c’est l’éducatrice. Sans la disponibilité du soleil, la plante ne poussera pas. Les liens affectifs sont primordiaux. L’éducatrice-soleil lui renvoie des rayons de confiance, de bienveillance. Des rayons positifs qui l’encourage à évoluer. Mais des rayons qui n’ont pas besoin d’être collés sur la plante pour rayonner sur elle. Et on s’adapte au besoin de lumière de chacun.
Et on lui donne du temps et de l’espace. Du temps de jeux libres, de vrais jeux libres, remplis de découvertes et d’exploration, de liens sociaux, de curiosité et d’épanouissement de chacun. Et de l’espace pour prendre son rôle d’enfant, premier agent de son développement. On lui fait confiance.
Et on l’arrose au besoin, après avoir bien observer ses besoins, qui n’étaient pas les mêmes que ceux de l’autre plante. C’est ce qu’on fait en petite enfance. On observe, jours après jours après jour. Les enfants se développent à une vitesse telle que les observations doivent être constantes pour bien s’adapter à son niveau de développement actuel. Et on l’arrose d’interventions éducatives significatives, ciblées, au besoin. Si on arrosait la plante constamment, elle ne pourrait pas grandir, elle serait surchargée d’eau. Il lui faut l’eau au bon moment. On a un peu cette conception pour les interventions éducatives. Trop ou n’importe comment et on risque de créer du stress inutile, d’enlever à l’enfant son développement global instinctif, de reléguer ses explorations spontanées, essentielles, au second plan. Donc on intervient avec soin, au bon moment. De différentes façons : étayage, discussion, démonstration, invitation…. Pour nous, c’est ça une intervention de qualité, et ça passe évidemment par une connaissance solide du développement global, par la formation aussi.
Et on sème, encore et toujours, de petites graines de compétences ici et là. Une petite graine d’éveil à l’écrit en jouant à parler en rimes pendant un lavage de mains, une petite graine d’éveil aux mathématiques en comptant les fraises dans notre bol de collation et en comparant les quantités de chacun, une petite graine d’autonomie en lui laissant le temps de trouver 4 façons différentes de mettre sa botte, une petite graine d’attention à l’autre en proposant à deux enfants de s’entraider, une petite graine de langage en utilisant un mot nouveau, plus élaboré, plus précis pour identifier un élément ou une action de la vie quotidienne.
Certaines de ces petites graines vont germer pendant qu’ils seront au milieu éducatif, d’autres plus loin dans leur vie, notamment pour l’éveil à l’écrit, qui se sème en petite enfance mais se récolte dans son parcours scolaire. Mais on sème pareil.
Et quand le jardinier a semé des graines de qualité, dans un terreau de qualité, avec un soleil adéquat, un arrosage bien dosé, du temps et de l’espace pour germer et s’épanouir, et bien il récolte des fleurs variées, éclatantes et merveilleuses. Sans avoir eu à tirer une seule fois sur leur tige pour les faire grandir plus vite ou démontrer qu’il était toujours un jardinier même s’il n’était pas présentement en train d’arroser ou de semer.
Plus concrètement, pourquoi ne pas être en mouvement et en intervention sans cesse tout en offrant un milieu éducatif de qualité ?
Premièrement, parce que j'accepte totalement quand étant leur éducatrice, leur adulte de confiance dans la journée, j'ai le rôle d'être leur ancrage affectif. En étant statique et non en mouvement, je leur permets d'avoir un repère clair. Le petit sait vers quel endroit se diriger pour un câlin entre deux jeux pour recharger ses batteries, un grand sait dans quelle direction se tourner pour capter mon regard pour me montrer son projet, poser une question ou avoir un petit boost de confiance face à une difficulté. Je suis là, disponible. Et être disponible, selon moi, a une grande importance pour la qualité éducative.
Deuxièmement, parce que si je suis perpétuellement en mouvement, je serai au coeur des actions. Moi, ce que je veux, c'est que ce soient LEURS actions qui dominent. Pas les miennes. Quand moi je me pose, eux ont davantage d'initiatives. J'aime même me retirer un peu à l'écart quand c'est possible, toujours présente, sécurisante et disponible, mais juste assez loin pour stimuler leur persévérance. Avez-vous remarqué que si un enfant a une difficulté et que vous êtes à côté il va se tourner et demander de l'aide tandis que si vous êtes plus loin il va essayer 4 solutions et être concentré à son action ?
Troisièmement, parce que j'ai ce désir de leur démontrer ce rythme de vie lent. Ce contraire de la course quotidienne à la productivité. Je crois que de voir un de leur adulte contempler le vent dans les feuilles, commenter le mouvement des fourmis, le chant des oiseaux et juste ne rien faire et prendre le temps de vivre peut avoir de belles retombées sur leur bonheur et leur pleine conscience à long terme. Et que ça se remarque beaucoup mieux quand on prend un moment pour rester au même endroit.
Quatrièmement, parce que règle générale, dans ces moments-là j'observe intensément. Ce sont ces observations qui vont me permettre d'accompagner chaque enfant dans son développement global, dans ses réactions, dans sa façon d'entrer en relation. Je ne les note pas toujours immédiatement sur papier, mais je les note dans ma tête, je les analyse et je planifie mon plan de match. C'est la base de mes interventions personnalisées. Une intervention éducative, ce n’est pas nécessairement une activité, loin de là.
Parfois, je suis assise. Mais pas à rien faire, même si ça ne paraît pas toujours.
Je sais que plusieurs sont mal à l’aise de ne rien faire certains moments de la journée. Comme si pour être une éducatrice de qualité il fallait être sans cesse en action, on a tellement peur de passer pour des gardiennes. Pourtant, être une professionnelle de la petite enfance c’est aussi changer notre rythme d’adulte pour le rythme naturellement plus lent des enfants. Changer les mentalités, c’est long. Mais comme le disait The Curiosity Approach, avoir un milieu éducatif en petite enfance, ce n’est pas avoir une maternelle diluée. Donc agissons pour leur laisser vivre leur petite enfance sans leur imposer nos angoisses existentielles d’adulte. Le programme éducatif Accueillir la petite enfance vise justement cette approche, de vivre avec les enfants, de rentabiliser le quotidien, de remettre l'enfant au coeur de tout cela, de favoriser les jeux libres et l'observation.
Le but n'est pas de paraître comme un milieu éducatif, c'est d'en être un.
Même si des fois il faut expliquer et justifier le fait que dans notre journée, des fois on reste assises à rien faire. Et que c'est exactement ce qu'on choisit de faire.
On s'entend on fait un paquet de trucs dans une journée, mais ça aussi, ça en fait partie.